Il y a très très longtemps

Extrait :

Il y a très, très, très longtemps... Il faisait beau. Tout allait très très bien sur la terre, si si, ma parole, vraiment très bien ! Un temps de rêve !

Les hommes s'amusaient à creuser des grottes, pour jouer à cachette et ils faisaient des dessins sur les murs : par exemple des éléphants, des chameaux, des biches ou des antilopes vraiment belles, ils les regardaient le soir ou bien l'hiver : c'était leur télé. Ils allumaient des torches comme dans les châteaux et ils mangeaient du saumon fumé ou du gibier très faisandé mais pas de chocolat, ça n'existait pas, et puis d'ailleurs Noël non plus. Le père Noël, Saint Nicolas, le père fouettard, rien, juste la fête du feu à la Saint Jean qui s'appelait la Saint Gnouf et ils fêtaient ça quand ils avaient du bois, de quoi casser la graine, et pas trop de pain sur la planche.

À cette époque, les hommes étaient toujours jeunes car ils n'avaient pas le temps de vieillir. Ils fêtaient donc les changements de saison, aux solstices (oui, peut-être avec des saucisses d'autruche mais pas sûr. Elles couraient déjà vite à l'époque, les autruches). Une immense fête à chaque changement de saison, c'était formidable. Alors, tout allait très bien d'après les dessins sur les pierres.

Et puis tout à coup, sans savoir pourquoi, il se mit à pleuvoir terriblement, des trombes d'eau (oui, on peut dire des trompes aussi, des trompes d'éléphants qui s'arrosent, mais alors vraiment des milliards). Les habitations se remplissaient comme des piscines. Les rivières débordaient d'enthousiasme.

On voyait flotter les hommes et les animaux, accrochés à des cuvettes, des casseroles, des tonneaux, des matelas pleins de tiques (pas pneumatiques).

Il y avait des poissons dans les armoires, des armoires comme des passoires, et en bord de mer, des douzaines de chaussettes en fuite au milieu des crabes et des huîtres. C'était catastrophique !

On cherchait pépé et mémé, on les trouvait dans le grenier, ils s'étaient enfermés dans une malle étanche en peau de sanglier ; on retrouvait une poule dans la boite aux lettres et les lettres dans le poulailler ! ... Même les grenouilles en avaient assez de danser la capoeira avec les rats !

Le pire c'est que les dinosaures qui dinaient aux aurores n'eurent pas le temps d'apprendre à nager, pourtant paraît-il qu'ils étaient doués. Ils coulèrent au fond de l'eau. Les baleines n'en revenaient pas de les voir essayer des moulinets de brasse avec leurs courtes pattes de devant. Et voilà ! Adieu les dinosaures ! On leur avait pourtant dit : apprendre à nager, c'est in-dis-pen-sable, mais bon, il n'y avait plus de sable pour s'exercer, non plus. Des orties et de la gadoue, c'est tout !

Un vrai déluge ! Comment faire pour survivre ? (...)

Recension de Claude Luezior

Conte pour enfants (mais les adultes ne sont-ils d'anciens enfants ?), le récit de Jeanne Champel-Grenier, Il y a très très longtemps... Il faisait beau est un kaléidoscope dont les thèmes (raccourcis impromptus de la Genèse suivis par des déconstructions et des renaissances successives de notre monde) et surtout le ton, tout à la fois badin et humoristique, mystifient le lecteur, petit ou grand. L'immédiateté du langage et la naïveté des dialogues font corps avec les bouleversements successifs qui s'enchaînent les uns aux autres de manière burlesque. Vif en imagination, riche en calembours, fourmillant d'images, ce rêve déjanté est illustré par l'auteur (est-on tenu, actuellement, de dire "autrice" ?) avec un imaginaire enfantin, une manière chaleureuse, un geste candide qui se mêlent intimement au texte. Comme si Prévert et Saint-Exupéry, d'un côté, Chagall et le Douanier Rousseau étaient convoqués à la table d'un même enchantement. Jeanne Champel-Grenier est une créatrice pétillante, aux facettes multiples, avec un réel don de conteuse et une baguette de fée Mélusine. Opuscule à croquer entre deux gâteaux à la Noël, parmi une noria d'anges bienfaisants et pour célébrer un instant la fragile beauté du monde.

 Claude Luezior

 

 

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