Encore une heure

"Encore une heure" Éditions France Libris, 2017

 

Encore une heure jeanne champel grenier 2

 

 

(...) dans l'immédiat
s'étire en long
le drap mouillé
d'un pré
vert tendre
usé dans un coin
par un âne méthodique

(...) Les unes après les autres
se tournent les pages
des volets
enluminés
sur un dernier
bâillement
de gonds rouillés

(...) un moineau
somnolent
sous l'argile
tiède
d'un toit
essaiera
de renouer
le fil
de ses ailes
avec le duvet
du sommeil

 

Recension d'Antoine DE MATHAREL parue dans "Poésie sur Seine" N° 98 - Septembre 2018

Jeanne CHAMPEL GRENIER – ENCORE UNE HEURE
(France Libris 21 rue des Saligues 64300 Orthez)

Des poèmes d’une quinzaine de vers, et souvent moins, partagé ou non en deux strophes, des vers d’un mot, deux mots, rarement davantage : Jeanne Champel Grenier associe dans ce très beau recueil la plus extrême concision à l’élégance d’un style qui nous conduit comme malgré nous dans des espaces à la fois très concrets et très inattendus. Car d’une quantité si réduite de mots, l’auteure sait tirer, à force de les mêler, de les heurter, de les juxtaposer, une multitude de sensations et de sens qui démultiplient dans l’espace et dans la profondeur, les perspectives de la pensée et les dimensions du réel. Les mots, qui sont ici surtout des fleurs, des oiseaux, des parfums, des paysages, des horizons, ne restent jamais immobiles au seuil de leur signification première. Ils bougent, ils changent d’aspect à chacune de leur rencontre avec les autres mots, aussi instables qu’eux, aussi impatients de vivre. « Tout blanc / un liseron / escalade le jour / à pas d’ombrelle ». Lancés dans cette vie aventureuse, les objets, ou les mots qui les représentent, affrontent les risques des jours, des nuits, du temps : « Alors s’écouleront / les heures des fontaines / qui parlent patois / en dormant » ou se trouvent, eux, si bavards, confrontés aux écueils féconds du silence : « Le silence / descendra / des soupentes / dépoussiérées / de lumière ». Des personnages incertains, d’une vérité vacillante, se perdent sans savoir pourquoi dans ces paysages à la fois si familiers et si étranges : « le visiteur / des nuits d’errance / qui traverse / sans les entamer / les siècles de solitude ». Car le poète se projette dans son œuvre, comme pour y retrouver son unité perdue : « et renaître / à soi-même //identité nomade » et sa relation au monde qui l’entoure : le « sentiment / profond / d’appartenance / au Tout ».

Antoine DE MATHAREL

 

Poesie sur seine n 98

Article de Patrick DEVAUX, Janvier 2018

Sur le site de VOCATIF, revue niçoise de création

http://www.moniqueannemarta.fr/311693040

Chez Jeanne Champel-Grenier, tout est mouvance et symbiose dans cette nature au ras du sol, rampante, progressive sans être envahissante : « Toutes les haies cicatrisent de glu leurs baies percluses d’oiseaux ». L’auteur fait vivre, ainsi, un jardin d’ « âmes baignant  (= « quelques âmes s’y baignent ») encore calées entre deux pierres ».
Il y a parfois incursion de l’étrangeté évoquant la rêverie ou peut-être des souvenirs de voyage.
Puis, le « zoom » de la poète s’arrête soudainement sur l’image, goutte seule au milieu de l’idée avec cette courte et auditive phrase : « l’instant s’égoutte » (où on « entend » aussi le mot « écoute »).
La grande classe d’évoquer les peintres de la couleur à l’action (plutôt les impressionnistes) fait mouche : « Je devine un petit Renoir doré à la feuille qui attend dans le buisson des roses », image avec la douce sensualité suggérée par « un gant de femme ».
Les détails deviennent vraies enluminures pour faire jaillir les absents d’un mur de lumière.
Recueil empli de délicieuses trouvailles, telle : « il sera temps de compter les graviers de l’allée gardés en otage contre la rançon exorbitante du parfum des lilas ».
Toute une région villageoise est ainsi indirectement évoquée dans le souci du détail autant le jour que surtout la nuit : « Et sonneront une à une les heures de la nuit sidérante d’amplitude » car tout devient prétexte à sincère étonnement à la fois nostalgique et jubilatoire, le côté jardin devenant une sorte de purgatoire entre la réalité et le fantasme, comme une quête de Graal impossible à trouver, le symbole du couple plante-minéral me paraissant très fort, la nuit elle-même devenant cette quête à travers une lumière générée par un souvenir puissant jamais énoncé.
Le texte évolue ensuite en vocation marine où l’heure n’a plus d’importance : « une heure de plus encore et sans fin une heure en plus ». Le mot retourne, travail accompli, à l’infini, à l’Eternité.
Et, certes, une heure, voire quelques suffisantes profondes minutes (réitérées à souhait) à partager la poésie de cette aussi grande amoureuse de jardins à la façon de Monet, n’est pas une heure de perdue.

Patrick Devaux

http://www.moniqueannemarta.fr/311693040

Note de Lecture par Nicole HARDOUIN

Sur le site de Traversées, revue littéraire (poésie, études, nouvelles, chroniques)

https://revue-traversees.com/2017/11/14/encore-une-heure-jeanne-champel-grenier-edition-france-libris-2017/

Avec douceur, Jeanne Champel Grenier retient les vibrations de son jardin enchanté, restitue les tombées soyeuses du vent, écoute l’arbre  projeter son tremblement d’amour : palpitation de l’invisible.
Elle peint avec  plume et  pinceau l’heure du soir, celle où les oiseaux, qu’elle connait parfaitement, cicatrisent les haies et tracent des zébrures sombres sur le canevas de la nuit  à l’équerre des étoiles.
La poétesse devient fileuse, avec son rouet - feuille blanche elle tisse la ténèbre sidérante d’amplitude. Elle cisèle des nœuds sur les fils de chaîne afin de prendre le temps d’écouter la pluie bergère qui a le cœur à chanter du Verdi.
Jeanne Champel Grenier est lieuse de mots, relieuse d’images qui clonent le mystère à notre portée.
La tapisserie s’allonge sur son métier à poétiser. Tapisserie  des fleurs, comme au Moyen Âge, parsemée, entre autre, de lilas de violettes, de cresson, d’églantines, sans oublier oiseaux et petits animaux, telles les grenouilles qui font une chorale de bénitier.
L’auteure passionnée par la nature en est très proche. Elle retient le temps qui s’y égoutte. Avec patience, en filant ses textes, elle entrecroise fantasme et raison, odeurs et couleurs pour le bonheur de ses lecteurs.
Les saisons défilent : les pâquerettes signent juin au coin du foin. Et lorsque les premiers frimas ondulent sur les petites aubes, la douceur quitte son lit d’églantier.
Ce recueil est un hymne vibrant à l’univers, il foisonne de couleurs  : quiétude de safran, et d’odeurs  : les graviers de l’allée gardent en otage contre rançon le parfum des lilas.
Jeanne Champel Grenier se fond dans chaque jour ; elle sait en retenir la quintessence pour la faire partager à son lecteur. Elle y trouve la saveur des premiers matins en ayant ce sentiment profond d’appartenance au tout tendant vers la filiation. Elle retrouve ce temps où ciel et terre ont rompu leurs étreintes pour laisser éclater le bleu de l’Origine, ce bleu qui tremble encore de tous les possibles, de tous les devenirs de l’ascétisme à l’ivresse.
Mais oui, Jeanne Champel Grenier, Encore une heure et plus pour vos lecteurs afin de leur apporter la sérénité qui émane de ce recueil et dont le monde a tant besoin.
Retenons les observations, ces petites choses qui apaisent puisque avec Jeanne Champel Grenier  s’écouleront les heures des fontaines qui parlent patois dans leur sommeil.
À travers les griffures du temps, lorsque l’auteure, dans un déluge d’encre, sculpte la douceur de la nature, tout peut advenir : une onde de braise frémit, le feulement du vent trouble l’inertie de l’eau, l’ombre prend feu.
Hypogée du rêve.

Nicole HARDOUIN

Recension de Claude Luezior

Encore une heure
et
Petite peinture de nuit : Suite en ciel majeur

de Jeanne Champel Grenier, Ed. France Libris, 2017

Sur le site de Traversées : https://revue-traversees.com/2017/11/14/encore-une-heure-et-petite-peinture-de-nuit-suite-en-ciel-majeur-de-jeanne-champel-grenier-ed-france-libris-2017/

Avec la générosité qui la caractérise, Jeanne Champel Grenier nous livre deux recueils fort courtois, l'un de blanc, l'autre de noir vêtus, j'allais dire un peu Chanel dans leur dépouillement et leur élégance.  

La poésie s'est ici élaguée de tout artifice : le verbe court sur la feuille en heureuse pureté. Pas de rime, de majuscule, pas de titre, de table ni même de pagination. Simplicité non pas minimaliste mais retour aux sources. Un extrait dense de Michel Lagrange en guise de préface (ou d'envoi) à la Petite peinture de nuit, une feuille volante, ambassadrice de haut vol pour Encore une heure, comme affranchie du livre mais de haute intensité, sous la plume de Nicole Hardouin. Les premières de couverture, tableaux de l'auteur qui est également artiste-peintre, proviennent d'une même diversité créative.

Mais revenons au texte, à la parole, au repas sacré où la mise à la ligne tient lieu de ponctuation, où l'image se suffit à elle-même. Fluidité de l'écriture verticale :

l'instant
s'égoutte

Relation du rêve avec un dépouillement de bon aloi.  Atmosphère épurée à la Robert Doisneau, toute en finesse, suspendue dans l'espace, à la fois parée d'ombres et de contre-jours, de personnage suspendus aux lèvres du temps et à d'insolentes contre-plongées.

Toutefois, cette simplicité ne veut pas dire indigence car au fond de moi / et en périphérie / un fakir / marche sur les braises. De Jeanne Champel Grenier, on connaît la truculence de sa prose, son appétence pour l'anecdote savoureuse, son humour jouissif, le fumet de ses mots confits et la tendresse de ses histoires pour Chaperons et mères-grand en balade. 

On retrouve ici ce sens inné de l'observation, du détail, du naturel, de l'imaginaire : chuintement / des algues / chevelues / accrochées / au rocher /  tout juste / sorti / de l'apnée. Ou bien : trouver / un hippocampe / bijou / préhistorique / desséché / entre deux galets / millénaires. Ici, la magie poétique fait son nid avec une certaine gravité : dans la mémoire / d'argile / l'horizon se régénère / la paix reprend sa force / originelle / la solitude est un écrin. L'instantané se glisse dans l'herbier des mots, y prend tout son sens: ainsi / renaissent / les murs / de la nuit / à l'équerre / des étoiles.

C'est ainsi qu'une conteuse est également née chamane. Peut-être pythie ou devineresse. Poète, en tout cas.

Claude LUEZIOR

Ajouter un commentaire